La conduite centralisée des systèmes énergétiques est-elle encore possible ?

Le cas des réseaux de distribution électrique est très significatif de la question. Jusqu’à aujourd’hui, organisés de manière hiérarchique pour acheminer l’électricité des grandes centrales de production vers les lieux de consommation, ils étaient fort logiquement conduits de manière centralisée.

Les systèmes de conduite centralisés sont pour cela « reliés » aux principaux postes de transformations, aux unités de production et à l’appareillage d’aiguillage et de protection. Ceci représente un nombre important mais raisonnable de points de collecte de données.

Plusieurs transformations majeures des réseaux électriques viennent bouleverser cet état de fait :

  • la multiplication des sources de production, de plus en plus nombreuses, distribuées, injectant à n’importe quel endroit du réseau
  • la nécessité d’assurer l’équilibre du réseau dans un contexte plus incertain, avec plus de paramètres de variabilité
  • la nécessité d’accompagner les consommateurs vers une consommation plus raisonnée de l’énergie

Les points d’acquisition de données nécessaires à la conduite du réseau se multiplient : compteurs intelligents, générateurs distribués…. Les systèmes de conduite centralisés deviennent plus complexes donc plus fragiles, plus lourds, plus coûteux, plus vulnérables aux intrusions malveillantes.

L’architecture actuelle des systèmes de conduite pourra-t-elle rester inchangée et survivre à ces bouleversements majeurs ou devra-t-on envisager des évolutions importantes ?

Deux tendances s’affrontent sur la question.

La première pousse vers un enrichissement des systèmes actuels et continue de se reposer sur des systèmes de conduite centralisés. Intellectuellement, cette approche permet une évolution plus progressive et évite d’envisager une rupture, toujours anxiogène.

Elle présente aussi l’avantage de laisser aux gestionnaires de réseau la possibilité (ou l’illusion) d’un contrôle total.

A différents titres, elle s’inscrit dans une logique défensive.

La deuxième tendance tend à introduire une rupture. Si les systèmes de transmission n’ont pas vocation à être impactés lourdement, les systèmes de distribution devront être architecturés et conduits différemment. Les systèmes de conduite sont alors conçus comme des centres de « services », un service étant une logique d’automatisme plus ou moins intelligente et capable de s’adapter en fonction d’informations disponibles. Ces services, pour des raisons de sécurité évidentes, sont maitrisés par le gestionnaire de réseau.

Chaque micro-producteur, chaque agent de stockage, chaque unité de consommation devra être « inscrit » à ces services tout en disposant d’un minimum d’intelligence locale.

La logique centralisée laissera progressivement et partiellement la place à une logique transactionnelle.

Cette architecture présente une meilleure résilience car un incident sur les systèmes de conduite du réseau n’affectera pas forcément tout le réseau, une meilleure sécurité pour la même raison et surtout une plus grande évolutivité.

De mon point de vue, cette deuxième tendance ne peut que s’imposer à moyen terme. Elle met les gestionnaires de réseau en tension car elle pourrait lourdement impacter la manière d’exercer leurs responsabilités. Elle porte notamment la porte à des évolutions locales de la chaine d’acteurs gérant les équilibres énergétiques.

Comme dans tous les changements, résister dans la durée conduit à des situations toujours plus douloureuses qu’accompagner le mouvement pour le maitriser. Là se situe un des enjeux humain, organisationnel et technique le plus important des gestionnaires de réseaux électriques et, plus largement, des gestionnaires de systèmes énergétiques.

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