Nucléaire : des débats « stériles » au service de l’immobilité

Le nucléaire est un sujet complètement à part : il est rarissime de lire des avis d’experts à son propos qui ne soient pas partisans, qui ne soient pas emprunts d’un caractère affectif et émotionnel excessif.

Les avis sont toujours tranchés, sans nuance, et se classent d’emblée dans le camp des « pour » ou dans le camp des « contre ».

Les positions de chaque camp semblent comparables à celles de deux adversaires se disputant une tranchée. Les positions sont tenues fermement, il n’est pas question de lâcher 1 mm à l’adversaire.

Le clan des « contre » semble considérer l’énergie nucléaire comme un non-sens originel, oubliant ce que cette énergie avait permis à certains pays ; le clan des « pour » semble, quant à lui, aveugle, au point de considérer la situation actuelle exactement à l’identique de celle qui avait justifiée le développement de cette énergie il y a 50 ans.

Je ne me reconnais dans aucune des positions habituellement tenues : s’il ne fait aucun doute pour moi que, si les technologies nucléaires restent les mêmes, le nucléaire doit être abandonné à long terme, il me semble difficile, dans de nombreux cas, d’envisager une sortie à court terme.

Pour cette raison aussi, je comprends chacune des positions : je comprends les positions extrêmes des adversaires du nucléaire, dans certains pays, face à l’absence totale de perspectives de sortie. L’impact du nucléaire sur l’environnement, les risques mis en évidence lors des catastrophes de Tchernobyl et Fukushima, justifient dans la population un rejet croissant de cette technologie. Je comprends aussi la position d’une industrie qui a besoin de temps pour se reconfigurer, de pays, la France en tête, qui ont besoin de temps pour reconfigurer leur mix énergétique. L’immédiateté voulue par les militants antinucléaires est une menace quasi inacceptable pour eux.

Plusieurs tendances plaident contre le nucléaire :

La question des déchets et de leur traitement n’est toujours pas résolue de manière satisfaisante. Aucun procédé de traitement « acceptable » n’est en vue et aucune technologie sans rejets radioactifs ne semble émerger sérieusement.

Les risques associés aux technologies actuelles sont toujours bien présents, les accidents récents en témoignent. Leur impact sur l’environnement et sur la santé des populations touchées est important et durable.

Les coûts de l’électricité d’origine nucléaire sont en augmentation régulière : les contraintes de sécurité imposées dans les différents pays sont de plus en plus importantes et couteuses, l’intégration des provisions pour un futur démantèlement pèse de plus en plus lourd.

La part du nucléaire dans le monde est en déclin régulier : de presque 18% de la consommation mondiale dans les années 80, la part du nucléaire est désormais passée sous les 11%. En terme de capacité installée, les énergies renouvelables sont très largement devant. Le secteur du nucléaire ne peut donc prétendre attirer facilement les capitaux que nécessiterait la recherche pour résoudre les points évoqués ci dessus.

Dans tous les pays les opinions publiques évoluent en défaveur du nucléaire

Pour autant, plusieurs facteurs plaident pour une transition dans le temps :

Dans de nombreux pays, l’électricité nucléaire est une électricité de bandeau c’est à dire alimentant les besoins réguliers tout au long de l’année. L’exploitation et la conduite des systèmes électriques de ces pays devront évoluer pour gérer l’équilibre offre-demande avec une alimentation de ce bandeau avec des énergies probablement moins régulières et moins prédictibles. Ces évolutions prendront plusieurs années.

Les capacités de production nucléaire devront être remplacées par de nouvelles unités de production. Le temps nécessaire à trouver les capitaux auprès d’investisseurs rassurés et à construire les nouvelles centrales se compte également en années.

Le coût de production de certaines technologies renouvelables est très variable selon les pays. Quelquefois, les solutions alternatives au nucléaire seront, à court terme, plus couteuses et leur déploiement devra s’inscrire dans le temps. Heureusement, le coût de production du solaire photovoltaïque et de l’éolien présente désormais, dans la plupart des cas, un avantage certain.

L’investissement initial des centrales nucléaires est important. Il est nécessaire de définir le timing d’arrêt le moins pénalisant pour les investisseurs et les états, si ces derniers prennent part à la prise en charge de certains coûts.

Je suis convaincu que l’équilibre de ces facteurs a besoin d’être géré au niveau de chaque état concerné. S’inscrire raisonnablement dans le temps est fondamental ; en la matière, les effets d’annonce ont de grandes chances d’être vains.

Ce constat recèle néanmoins un paradoxe : s’inscrire dans le temps ne signifie nullement que nous avons le temps et que nous devons prendre notre temps.

Laisser perdurer le dialogue devenu stérile entre pro-nucléaires et anti-nucléaires, c’est laisser coupablement s’enfoncer une industrie entière, c’est retarder le début de sa transformation, c’est minimiser ses chances de survie, c’est guider certains pays vers une transition énergétique brutale et couteuse. La seule hypothèse pouvant influencer cette vision serait l’émergence de nouvelles technologies permettant de réduire considérablement les dangers et les déchets…il est aussi risqué de s’y raccrocher que de compter sur le loto pour boucler ses fins de mois.

Les réacteurs en service aujourd’hui seront peut-être arrêtés dans quelques décennies seulement, mais pour que cela soit possible, tous les acteurs concernés auraient déjà dû bâtir une feuille de route claire et précise.

Il est temps désormais de faire preuve de discernement, d’ouverture et de courage.

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