Il peut paraître incongru de parler de stratégie pour un gestionnaire de réseau : en effet, il opère dans un environnement régulé pour exploiter, en position de monopole, un réseau selon des règles édictées par le législateur et le régulateur de l’énergie. En première approche, on pourrait penser qu’il lui suffit d’exceller dans son métier.
Un regard attentif à la situation actuelle des gestionnaires de réseau européens nous fait découvrir une situation plus complexe :
- La redevance, intégrée au prix de l’énergie, sensée couvrir les frais d’exploitation et d’investissement relatifs au réseau a une sensibilité politique importante. Dans un contexte d’augmentation des prix de l’énergie, elle subit une pression grandissante. Il est désormais nécessaire pour le gestionnaire de réseau de faire preuve d’inventivité dans sa stratégie pour pérenniser un service de qualité, indispensable aux ménages et à l’économie.
- Les usagers de réseaux attendent désormais des monopoles le même niveau de service et de compétitivité que de leurs fournisseurs privés. Un défaut de performance peut se payer cher en alimentant et accélérant des mouvements d’ubérisation.
- La culture des gestionnaires de réseau garde en mémoire le fonctionnement passé, où les énergéticiens étaient encore verticalement intégrés. Certains dirigeants et collaborateurs vivent mal une position désormais « coincée » entre producteurs et fournisseurs d’énergie.
Assurer la pérennité de la performance économique et technique des gestionnaires de réseaux demande bien, répondre aux attentes des clients abonnés, dans ces conditions, une véritable stratégie.
Pour bâtir une telle stratégie, plusieurs axes de réflexion s’imposent selon qu’on vise la pérennité économique ou la satisfaction des clients ou les deux.
- Développer une gamme de services, en veillant à ne pas introduire de confusion avec les services énergétiques délivrés par les fournisseurs
- Elargir le territoire sur lequel le gestionnaire opère : cette option semble évidente dans les territoires où la distribution électrique ou de gaz est très fragmentée et est restée partiellement sous tutelle des communes et des villes.
- « Grignoter » des responsabilités aux frontières entre gestionnaires de réseau et producteurs d’une part et fournisseurs d’autre part.
- Développer une position de spécialiste des infrastructures en privilégiant un développement horizontal (gestion de réseaux de distribution de chaleur, de gaz et d’électricité ainsi que de capacités de stockage). Cette position permet de devenir l’interlocuteur privilégié des collectivités territoriales pour déployer des systèmes énergétiques optimisés. Elle s’impose plus facilement dans le sillage des Stadtwerke allemands ou des Services Industriels suisses, qui offrent une base d’expérience très intéressante pour ce type de positionnement.
Toutes les règlementations nationales ne permettent pas, aujourd’hui, l’ensemble de ces choix. Mais les transitions énergétiques ne concernent-elles pas aussi toutes les dispositions à prendre pour évoluer vers des systèmes énergétiques optimisés ? La clarification de la stratégie des gestionnaires de réseaux aura une influence forte sur le législateur et sur le régulateur.
Cette clarification sera également bénéfique pour les clients particuliers et industriels qui ne peuvent comprendre l’évolution du marché de l’énergie dans la cacophonie actuelle : comment s’y retrouver quand des gestionnaires de réseau communiquent en termes commerciaux de la valorisation de la flexibilité, font la promotion des services d’efficacité énergétiques accessibles grâce aux compteurs intelligents et occupent dans les foires majeures des stands plus grands que ceux des fournisseurs d’énergie ? Certes, ils ne font que tutoyer la limite de leur champ de responsabilité mais la perception de l’auditeur est influencée par l’absence de communication sur leur cœur de métier, en dehors des compteurs intelligents (auxquels, je persiste à le croire, la plupart des consommateurs n’accordent qu’une faible importance).
Définir une stratégie pour les gestionnaires de réseau est complexe car il me semble nécessaire de sortir du connu et des zones de confort. Que ceux qui se veulent innovants ouvrent la voie ! Le champ d’action est vaste.
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