5 stratégies énergétiques post COVID

Y a-t-il vraiment un sens à parler de stratégie post-COVID ?

Il me semble que l’épisode du COVID et surtout l’expérience du confinement ont permis à certains dirigeants de regarder le monde et ses enjeux par contraste entre ce qu’ils avaient vécu auparavant et ce qu’ils ont observé et ressenti pendant cette période.

Il n’y a donc pas de raison que les stratégies énergétiques possibles aient évolué mais la manière de les considérer et de les évaluer a été certainement bouleversée.

Deux axes principaux structurent ces stratégies :

  • La volonté d’un mix énergétique plus vert : cet axe représente ce qui est perçu comme l’opposition entre écologie et économie. Soit on considère les aspects économiques comme primordiaux, soit on prend la défense de l’environnement. Je crains qu’il ne soit vertueux de combiner les deux aspects plutôt que de les opposer.
  • La vision d’un monde énergétique plus ou moins décentralisé : cet axe renvoie non seulement à des croyances en matière de technologie mais aussi aux peurs liées aux réorganisations du monde de l’énergie associées à cet axe.

En ce qui concerne le mix énergétique, deux visions s’opposent :

  • L’attirance pour un mix énergétique ne bouleversant ni les habitudes, ni les modes de raisonnement et de gestion, ni les métiers, car tout changement, avant d’être une opportunité incertaine est un coût certain. Les centrales gaz à cycle combiné, les centrales à biomasse, l’hydroélectricité (fil de l’eau et accumulation) et, demain, probablement, l’hydrogène sont des technologies appartenant à cette mouvance. C’était jusque récemment l’option de la sagesse économique. La crise du COVID débouche aujourd’hui sur la perspective d’une crise sans précédent ; beaucoup voit dans cette option le retour aux fondamentaux (économiques) nécessaires à surmonter la crise.
  • La volonté d’un mix énergétique rapidement vert nécessitant de nombreux changements, induits par des technologies souvent intermittentes, telles que solaire et éolien mais comprenant aussi la récupération de chaleur, le biogaz, les énergies marines etc… Une autre partie de la population et des dirigeants a vu dans la crise du COVID à la fois le signe d’une nécessité de changer et l’opportunité d’accélérer ce changement. En mettant en évidence notre fragilité et une certaine vulnérabilité, le COVID pousse au retour vers des options plus « naturelles », plus respectueuses de l’environnement et des populations.

En matière de décentralisation, trois visions se dégagent :

  • La préférence pour un monde énergétique centralisé, offrant peut-être une pénalité écologique à court et moyen terme mais ne nécessitant pas de refonte des réseaux de distribution et des modes de gestion des systèmes énergétiques et cherchant à bénéficier des avantages de la globalisation. Cette option, comme celle d’un mix traditionnel, rassure en nous ancrant d’un un monde connu, à défaut d’être performant et adapté aux enjeux du moment.
  • La volonté de s’opposer aux structures historiques centralisées par la promotion et le développement de sources décentralisées. Outre une nécessaire adaptation de la distribution de l’énergie, cette tendance bouleverse la structure des acteurs de l’énergie en donnant un rôle prépondérant aux collectivités territoriales et aux villes. Dans un contexte post-COVID, cette option correspond autant à une réaction contre le monde globalisé traditionnel qu’à un repli de protection sur une dimension plus locale. 
  • Le développement de systèmes énergétiques combinant une approche globale avec des sources centralisées et le développement des interconnexions entre pays et le recours croissant à des sources locales distribuées. Cette vision vise une complémentarité des structures centralisées et décentralisées et non une opposition entre elles.

L’aspect alternatif de la deuxième stratégie n’est pas avéré car de grands groupes, adeptes de la mondialisation ont pourtant fait ce choix, tentant d’ouvrir la porte à une mondialisation moins globalisatrice et plus attentive au développement de logiques locales.

La première option, par contre, se retrouve souvent, mais pas toujours, associée à des logiques économiques tirées par le repli sur soi et le protectionnisme. Disposer de grandes centrales, de grands barrages atteste de la grandeur d’un pays qui peut gagner seul, n’a pas besoin d’alliance (interconnexion), voire souffrirait d’avoir à gérer des compromis avec des alliés.

Ainsi, 6 grandes stratégies (en réalité 5) se dégagent, au croisement de ces deux axes. Chaque acteur, gouvernement d’un pays, entreprise, ville se détermine et choisit sa stratégie. Dans les grands pays, deux acteurs peuvent suivre des voies différentes et l’évolution énergétique d’un pays n’est pas exclusivement déterminée par une politique nationale : les choix fait par les acteurs économiques, les opinions publiques ont un rôle déterminant. La lisibilité des trajectoires énergétiques des pays n’est donc pas aussi claire et le COVID, s’il n’a pas nécessairement de conséquence directe sur les politiques énergétiques nationales, peut avoir un impact lourd sur les opinions publiques et les acteurs économiques.

Le conservatisme énergétique allie le recours à un mix énergétique traditionnel et une vision encore centralisée des systèmes énergétiques. Beaucoup de pays, pas seulement ceux dirigés par des gouvernements populistes, risquent de se laisser tenter par un rapprochement de cette option. La crainte d’une crise post-COVID peut justifier la recherche « d’économies » faciles. Il s’agit davantage d’économiser des efforts de réflexion et d’action que d’économiser de l’argent. Cette option est de plus facile à vendre à des opinions publiques rarement éduquées mais elle peut aller à l’encontre d’une vague écologiste qui gagne progressivement les pays européens.

Cette option peut également tenter des villes soucieuses de se concentrer sur des enjeux économiques et sociaux sans se disperser ou des entreprises recentrant leurs énergies et leurs moyens sur leur cœur d’activité. 

L’ouverture de façade diffère de la stratégie précédente par la recherche d’un équilibre global-local au sein des systèmes énergétiques.

Il y a presque antinomie entre la conservation d’un mix traditionnel et l’ouverture des systèmes énergétiques à une dimension plus locale. Cette option, prise au niveau d’une ville, d’une région, d’une entreprise, plus rarement au niveau d’un pays, peut traduire une volonté d’action très superficielle et de duper un temps les électeurs ou les clients. Si cette approche apporte quelques bénéfices court terme, je crains qu’elle ne soit durement sanctionnée ensuite.

Néanmoins, certains décideurs pris dans le paradoxe d’une vision personnelle assez traditionnelle et d’une aspiration de changement de leurs électeurs ou de leurs clients pourraient prendre cette voie.

La cadrature du cercle n’est en réalité pas une option car le recours à un mix énergétique traditionnel est incompatible avec la volonté de s’opposer aux systèmes énergétiques centralisés

Cap sur le nucléaire et sur l’hydrogène pour ceux qui souhaitent verdir le mix énergétique en conservant les attributs et les avantages des systèmes centralisés. 

La protection de l’environnement et la réduction des émissions de gaz à effet de serre s’impose comme des nécessités impérieuses y compris à des décideurs soucieux de ne pas tout changer et notamment de ne pas abandonner les bénéfices des structures centralisées et les savoir-faire associés.  

Les défenseurs du nucléaire trouvent dans cette stratégie de quoi valoriser leur technologie, éminemment centralisée et donc l’impact sur l’environnement est tactiquement réduit aux émissions de CO2.

Si le choix du nucléaire concerne en priorité les états et les options publiques, les villes et les entreprises voient dans l’hydrogène une future source d’énergie alliant des bénéfices connus aux impératifs environnementaux. Il est probable que la période post-COVID accélère les investigations et développements dans ce domaine.

Le militantisme énergétique vise une rupture avec l’existant, tant au niveau du mix que de la structure des systèmes énergétiques.

En poussant pour un mix plus vert et pour une décentralisation des systèmes énergétiques, des responsables d’entreprise ou d’instances politiques vont marquer leurs distances avec le monde d’hier, à leurs yeux, celui qui a conduit à l’émergence du COVID.

Certaines entreprises pourront « vendre » leur positionnement ou en bénéficier à travers un engagement accru des salariés, d’autres, souvent de petite taille, ne seront que le reflet d’un engagement personnel de leur dirigeant.

Cette stratégie sera aussi celle des dirigeants de collectivités territoriales, soucieux d’arracher aux pouvoirs centraux, un contrôle plus important sur l’énergie, nécessaire pour eux pour réformer la mobilité dans leur ville ou leur région et booster l’économie.

Le « Green Deal » vise à la fois un mix énergétique plus vert et la recherche d’un équilibre entre les dimensions globales et locales de systèmes énergétiques.

De mon point de vue, cette stratégie, pourtant souhaitable et vertueuse, ne sera pas souvent plébiscitée : elle est difficile et lente à mettre en œuvre, elle nécessite beaucoup d’explication et d’éducation des opinions publiques (exercice auxquels les pays latins, par exemple, ne sont guère habitués), elle repose sur une approche systémique rarement maitrisé. De plus, dans la période post-COVID, elle est une sorte de compromis qui ne répond pas à la volonté d’action radicale partagée par beaucoup. 

Le COVID aura très certainement pour conséquence de radicaliser les options et les positions. Entre les promoteurs d’un retour aux fondamentaux et les adeptes d’une accélération de la course vers un monde nouveau, le fossé risque de se creuser entre deux pôles opposés qu’il faudra néanmoins faire cohabiter. Du succès des médiations, des collaborations, du partage entre ces deux pôles, naitra le monde énergétique européen du XXIème siècle.

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