Les gestionnaires de systèmes de distribution, clés de voute de la transition énergétique ?

Les réseaux de distribution, infrastructures inévitables reliant consommateurs, micro-producteurs et réseaux de transport, semblent être à la fois à la croisée des chemins de la transition énergétique et fortement impactés par de nombreux changements liés à cette transition.

La position naturelle qu’ils semblent avoir au sein des systèmes énergétiques en fait-elle pour autant des acteurs incontournables de la transition ?

Pendant des années, les réseaux de distribution ont été des réseaux d’écoulement de fluides (électricité, gaz, chaleur) depuis des points d’injection (lieu de production, lieu d’importation, liaison inter-pays) vers les consommateurs. Le gestionnaire de ces réseaux assurait la maintenance, l’équilibre de fonctionnement et la planification du dimensionnement nécessaire pour couvrir les besoins attendus.

Prenons le cas des réseaux électriques d’aujourd’hui : l’écoulement n’est plus aussi linéaire puisque les points de production se trouve répartis tout au long du réseau ; l’émergence progressive de microgrids permet de gérer l’équilibre de fonctionnement, plus complexe à assurer, par niveaux successifs.

La logique d’organisation et d’exploitation verticale fait peu à peu la place à une logique cellulaire et systémique.

On retrouve dans cette évolution une logique de poule et œuf : une organisation cellulaire des réseaux permettrait un développement plus important des sources d’énergie distribuées et le développement des sources d’énergie distribuées poussent au développement d’une gestion cellulaire des réseaux. A ce titre, l’évolution des réseaux peut être vu comme un catalyseur de transition énergétique.

L’émergence de cette logique cellulaire se retrouve dans un enjeu fréquemment mentionné à propos des gestionnaires de réseaux (DNO en anglais): celui de devenir des gestionnaires de systèmes de distribution (DSO en anglais), gérant des flux plus complexes combinant des flux de stockage et déstockage, des échanges locaux entre micro-producteurs et consommateurs ou, pourquoi pas, un contrôle partiel des consommations, des échanges entre réseaux de gaz et réseaux d’électricité (via des installations de P2G par exemple avec lesquelles il convient de se coordonner), des échanges entre réseaux de chaleur et réseaux d’électricité (via des installations de trigénération par exemple avec lesquelles il convient de se coordonner).

Afin d’assurer la gestion de flux aussi croisés, dépendants et complexes, le gestionnaire de distribution dispose d’un nombre de données croissants à propos des flux de production, de consommation, de transit et à propos de paramètres permettant de prédire les évolutions court et moyen terme. D’une part, cette masse de données est tellement importante, d’autre part, ces données peuvent servir à de multiples autres applications, urbaines notamment, que le gestionnaire de réseaux devient également gestionnaire de données.

L’importance des gestionnaires de réseaux pour la transition énergétique est clair, l’étendue du champ d’action qui leur est techniquement accessible est immense, les opportunités d’optimisation auquel l’extension de son champ d’action permet d’accéder sont nombreuses.

Pour autant, les gestionnaires de réseaux font partie de la partie régulée des systèmes énergétiques c’est à dire dont les règles de fonctionnement, en particulier le rôle dévolu aux gestionnaires de réseaux, sont définies par le régulateur. Le gestionnaire de réseau est, en première approche, l’exécutant, le bras armé du régulateur.

Jusqu’où, dans chaque pays, les régulateurs vont-ils choisir de faire évoluer les gestionnaires de réseaux ? Jusqu’où les régulateurs considéreront-ils qu’ils doivent accompagner la transition énergétique ? Accompagneront-ils des mouvements connus comme le développement des énergies renouvelables, des infrastructures de recharge des véhicules électriques, des infrastructures de stockages ou de l’autoconsommation ? Seront-ils positionnés comme interlocuteurs privilégiés des villes pour nourrir des dynamiques énergétiques locales ? Seront-ils gestionnaires de données pour le compte de la collectivité ? Pourront-ils être multifluides ?

Les réponses dépendront de la nature de la collaboration entre le régulateur et son(ses) bras armé(s) : le régulateur se doit d’être visionnaire et stratège tout en garantissant la performance des systèmes énergétiques nationaux ; dans les conditions actuelles, son ADN devrait être entrepreneurial. Le gestionnaire de réseaux prend souvent l’attitude du lobbyiste, défendant ses propres intérêts : minimiser les perturbations à gérer, assurer son avenir en intégrant une mission supplémentaire. Il est rarement intéressant que le lobbyiste prenne le pas sur le stratège : il peut en résulter une lenteur d’évolution voire un immobilisme mêlé à une grande défiance. L’enjeu est de bâtir des modes de fonctionnement les plus collaboratifs possibles entre régulateur et gestionnaire(s) de réseaux.

Ces réflexions restent centrées sur l’establishment et ne prennent pas en compte les clients. Dans la plupart des pays, les consommateurs financent les réseaux via une part du prix de l’énergie ; ils sont contraints de le faire dans des conditions qui, une fois de plus, leur sont imposées par le régulateur. Certains vivent donc cette contribution comme une « taxe » qu’ils mettent en regard de l’impossibilité d’autoconsommer, d’échanger librement leur production d’énergie avec leur voisin, de la limitation de la puissance de production photovoltaïque qu’ils peuvent librement installer etc… Ce sentiment de frustration alimente la volonté d’ubérisation observée aujourd’hui chez la plupart des consommateurs.

En réalité donc, le gestionnaire de réseaux est, avant tout, un exécutant clé de la transition énergétique mais l’architecte des possibles, le stratège de la transition énergétique est le régulateur. A lui de créer les conditions de collaboration entre les acteurs et de s’extraire des actions de lobby défensives.

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