Suisse : ouverture totale ou pas ouverture totale du marché de l’électricité ?

Une fois de plus, je vous propose de braquer le projecteur sur la Suisse. Le pays est en pleine mutation règlementaire. Le marché suisse est régi par la LApEl, la loi sur l’approvisionnement en électricité dont la version actuelle date de 2007. Une nouvelle version est en projet pour faire suite au vote favorable à la stratégie 2050, cap que la Suisse s’est fixé pour guider sa transition énergétique.

Le projet en cours génère débats et réactions passionnés. Pourquoi ? Sont-ils légitimes et compréhensibles ? Que traduisent-ils ? 

Le projet de loi inclut plusieurs dispositions destinées à faire évoluer le marché : parmi elles, la libéralisation complète du marché suscite beaucoup d’oppositions.

Le marché suisse de l’énergie est très fragmenté : il s’est construit autour d’acteurs régionaux voire municipaux. Ces acteurs ont développé au fil des années une grande proximité avec les habitants des zones qu’ils desservent. Je suis certain de l’avantage potentiel long terme que cela représente et reste interrogatif quant à la réelle valeur de l’ouverture du marché sur un tel marché. 

Ouverture ou proximité ? Que faut-il privilégier ? La question ne se pose pas dans les pays dont la plupart des acteurs historiques sont nationaux voire dominants mais elle est légitime dans les marchés fragmentés pour les énergéticiens de moins de 500000 clients ou dont le territoire correspond à une zone urbaine unique.

Mais qu’ont fait récemment les énergéticiens suisses, pour ne parler que d’eux, pour montrer que cette proximité était un avantage ? pour la développer et en faire un avantage déterminant pour les municipalités et les citoyens ? Qu’ont-ils fait de plus que les énergéticiens européens, déjà touchés par la libéralisation de leur marché et par l’unbundling de leurs activités ?

Quelques initiatives remarquables ont été menées en matière d’efficacité énergétique, comme le programme ECO21 à Genève.

En matière de gestion de la relation client, Romande Energie, EBM et EKZ ont créé une société de service nationale qui répond en leur nom à leurs clients : c’est une initiative importante et pionnière, encore isolée dans un pays où la relation client reste une chasse gardée de chaque opérateur.

En matière d’efficacité économique, quelques énergéticiens regroupent leurs achats depuis quelques années. Mais, par ailleurs, la fragmentation du marché interdit, dans bien des domaines, des effets d’échelle favorables à une meilleure efficacité.

Mais,

En matière de digitalisation, la plupart des énergéticiens ont progressé dans la digitalisation de leur relation client mais la digitalisation des systèmes énergétiques reste en retrait. Les investissements nécessaires restent hors de portée des petits énergéticiens et les plus grands restent frileux sur la question. Les quelques associations de GRDs peinent à prendre le relais sur la question pour stimuler de vraies avancées en matière.

Une bonne articulation entre gestionnaire de réseaux et fournisseurs peut, par exemple, favoriser une plus grande fluidité de la transition des solutions thermiques offertes aux consommateurs. Elle peut également déboucher sur des spécifications de compteurs communicants permettant le développement d’un plus grand nombre de services aux consommateurs ; plus couteuses, elles ne sont jamais étudiées en cas d’unbundling. Aucune des pistes ci-dessus n’a donné lieu à des réalisations emblématiques en Suisse.

La pénétration des énergies renouvelables reste limitée : peu nombreuses sont les sociétés énergétiques accompagnant ce développement autrement que de manière superficielle.

Le domaine sur lequel la proximité aurait pu donner lieu à des solutions pionnières est celui de la Smart City. Il y a tout lieu d’être déçu de la contribution des énergéticiens suisses.

Force est de constater que la proximité gestionnaire de réseaux-fournisseurs et la non-ouverture du marché, pourtant éclairés par les expériences européennes en cours, n’ont pas donné lieu à des réactions ou des actions particulières.

En observant la situation du point de vue du législateur, les systèmes énergétiques suisses, électriques et gaz, en priorité, sont interfacés avec ceux des pays voisins : ils ne peuvent évoluer de manière totalement indépendante. La vitesse d’évolution lente des énergéticiens suisses peut être vue comme une menace à moyen terme.

Dès lors, la nouvelle LApEl n’est peut-être pas à regarder sous l’angle purement technique mais comme un moyen de dynamiser un marché, de remettre des acteurs en mouvement, de susciter des réactions et des adaptations aux grandes tendances du moment. Face à cet objectif, les arguments avancés par les énergéticiens pour s’opposer à la nouvelle LApEl, rarement sérieusement étayés, peuvent apparaître comme un ultime combat pour faire perdurer une rente quasi séculaire. Il y a peu de chances qu’ils touchent au cœur le législateur.

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